L’Académie Nationale de Médecine a publié, en mai 2022, son rapport sur les bienfaits de l’activité physique et sportives pour améliorer la santé au travail. Selon les membres du groupe de travail ayant rédigé ce rapport, les données épidémiologiques, confortées par les progrès des connaissances biologiques, indiquent que l’inactivité physique et la sédentarité sont des facteurs de risque indépendants de développement de nombreuses maladies chroniques. Voici le contenu du rapport.
L’activité physique (AP) regroupe l’ensemble des actions pratiquées dans différents contextes : travail, transports, occupations domestiques et loisirs (dont le sport). L’inactivité physique caractérise un niveau insuffisant d’activité physique d’intensité modérée à élevée, inférieur aux recommandations nationales et internationales. La sédentarité (ou comportement sédentaire) est définie comme une situation d’éveil associée à une très faible dépense énergétique (inférieure ou égale à 1,5 MET, soit 1,5 fois le métabolisme de repos. La sédentarité s’apprécie par le temps quotidien passé en position assise ou allongée.
Une personne peut être très active, en s’engageant régulièrement dans des AP intenses notamment sportives, tout en étant très sédentaire (nombre important d’heures passées en position assise).
Pour la population professionnellement active, il est important de prendre en considération le niveau d’AP et de sédentarité au travail comme déterminants de la santé. L’ère numérique a majoré le temps de travail en position assise, avec des conséquences médicales qui sont devenues un enjeu de première importance. Pour certaines catégories professionnelles, les conditions de travail pendant la pandémie de COVID-19, avec la promotion du télétravail, ont considérablement majoré l’inactivité et les temps de sédentarité. Cette évolution des conditions du travail va se prolonger en France au-delà de la période de pandémie, avec des conséquences déjà observées sur des marqueurs de santé comme le surpoids et l’obésité.
La promotion de la santé des travailleurs par la prévention des risques est d’un intérêt primordial pour l’individu et la collectivité, notamment par la réduction de l’absentéisme et du présentéisme (le présentéisme est caractérisé par une baisse d’efficacité de l’employé, bien que présent à son poste de travail). Ce rapport a pour objectif de synthétiser nos connaissances sur les effets de programmes d’activités physiques et sportives et de réduction de la sédentarité mis en œuvre dans le monde du travail.
En France, deux enquêtes récentes ont estimé que 37-39 % des personnes de 18 à 74—79 ans ont un niveau d’AP considéré comme « faible », et ce davantage chez les femmes (46—47 %) que chez les hommes (27—30 %). Cependant, les données de ces deux enquêtes nationales ne permettent d’identifier ni la part de la population en activité professionnelle, ni la relation entre le type d’emploi et le faible niveau d’activité. Par ailleurs, ces enquêtes estiment que 40—41 % des adultes de 18 à 64 ans passent plus de 7 h/j en position assise
De 1960 à 2008, la part des emplois sédentaires a augmenté de 20 %, et la dépense énergétique quotidienne moyenne au travail a diminué de 150 kcal chez les hommes et de 125 kcal chez les femmes. Les employés de bureau passent en moyenne 75 à 77 % de leur temps de travail en position assise. En France, ces 40 dernières années, la part de l’industrie s’est réduite presque de moitié, alors que le secteur tertiaire a augmenté, représentant actuellement 76 % des emplois (88 % chez les femmes, 64,5 % chez les hommes). On estime par ailleurs que le pourcentage de salariés travaillant plus de 20 heures par semaine devant un écran est passé de 12 % en 1994 à 23 % en 2010.
Les incitations au télétravail liées à la pandémie de COVID-19 induisent une réduction importante de l’AP liée aux déplacements actifs, et une modification du rapport AP/sédentarité sur le lieu de travail. Chez les personnes exerçant en télétravail, le temps quotidien passé en position assise augmente de 31 à 76 min suivant les études ; le temps passé devant la télévision augmente en moyenne de 86 à 95 min/semaine, et le temps passé en position assise de 113 à 108 min/semaine. On observe dans le même temps, une baisse de 28 à 38 % de l’AP quotidienne, quelle que soit son intensité.
En France, on estime que les dépenses directes de santé induites par les 4 maladies chroniques les plus fréquentes (affections coronariennes, diabète de type 2, cancers du sein et colo-rectal) s’élèvent à 1,21 milliard € par an. Il convient d’y ajouter les dépenses indirectes (coûts liés à la mortalité précoce, morbidité générale, baisse de productivité, absentéisme) estimées à 8,25 milliards € par an, ainsi que l’impact économique de l’obésité évalué à 2,6 % du PIB français, soit 56 milliards d’euros. Les dépenses directes de santé engendrées par les troubles musculosquelettiques (TMS) sont estimées à 100 à 500 € par salarié et par an, et les dépenses indirectes 2 à 7 fois supérieures.
Il existe une relation entre le niveau d’AP et la mortalité générale ; c’est ainsi que pour la tranche d’âge de 40 à 69 ans, 9,9 à 10,8 % des décès peuvent être attribués à l’inactivité physique. Le manque d’activité est de surcroît à l’origine d’un gain de masse grasse abdominale et viscérale avec un risque accru de diabète de type 2.
De manière indépendante au niveau d’AP, chaque heure supplémentaire en position assise augmente la mortalité cardiovasculaire de 3 % et la mortalité par cancers de 2 à 4 %. Les augmentations des mortalités d’origine cardiovasculaire et par cancers sont estimées respectivement à 4 % et 7 % pour toute heure supplémentaire passée devant la télévision.
On estime que 29 % des congés de maladie d’une durée supérieure à 6 mois sont liés à des affections ostéomusculaires et 25 % à une souffrance psychologique ou un trouble mental. En France, le coût annuel de l’absentéisme au travail est évalué à 108 milliards € : les 2/3 sont imputables aux troubles musculosquelettiques (TMS) et/ou à un état d’épuisement psychologique (burn-out).
Les TMS caractérisés par des douleurs, gênes ou limitations de l’appareil locomoteur liées à une hyper-sollicitation (contraintes physiques, biomécaniques, postures inconfortables, vibrations, travail sur écran, gestes répétitifs. . .), représentent 87 % des maladies professionnelles. Les lombalgies sont les formes cliniques les plus fréquentes (43—46 %), suivies des cervicalgies, des douleurs de l’épaule et des membres supérieurs (41—43 %), et des douleurs des membres inférieurs (29—30 %). La prévalence des douleurs des épaules (lésions de la coiffe des rotateurs), des membres supérieurs (épicondylites, épitrochléites, syndromes canalaires. . .) et du rachis cervical varie suivant les métiers, de 36 % pour les emplois de bureau à 49—55 % chez les artisans, ouvriers du bâtiment et agriculteurs. Le temps passé en position assise au poste de travail est associé au risque de cervicalgies et de lombalgies. Les cervicalgies sont une expression clinique fréquente de TMS chez les employés travaillant devant écran, en particulier chez les femmes (18 à 23 %, contre 12 à 13 % chez les hommes). L’épuisement professionnel ou « burn-out » est défini comme un état d’épuisement psychologique, cognitif et physique imputable au contexte professionnel. Un rapport précédent de l’Académie nationale de médecine mentionne que cet état d’épuisement survient volontiers chez des personnalités perfectionnistes, hyperactives, avec une « addiction au travail ». Il est difficile d’en évaluer la prévalence : 18 % des salariés affirment en avoir été victimes, et 22 % déclarent en avoir été témoins dans leur entreprise. L’activité physique est primordiale pour améliorer la santé au travail
Des stratégies de prévention efficaces peuvent avoir un impact favorable sur l’incidence de maladies chroniques et/ou de pathologies liées au travail.
L’AP régulière et la réduction de la sédentarité sont des outils de prévention primaire de nombreuses maladies chroniques et d’amélioration de l’état de santé de patients déjà porteurs de telles affections. Les relations doses/effets liant sédentarité et mortalité ou incidence de maladies chroniques montrent que toute réduction du temps passé en position assise est associée à un bénéfice pour la santé. La prise en compte de ces notions est à l’origine des recommandations d’AP et de réduction de la sédentarité pour la population générale.
Une méta-analyse récente confirme que des programmes d’AP associant exercices d’endurance et de renforcement musculaire, suivis pendant au moins 4 mois sur le lieu de travail corrigent la composition corporelle, réduisent la masse grasse et améliorent la masse musculaire.
Une pratique régulière d’AP permet de réduire de 45 % le risque relatif de survenue d’un épisode lombalgique aigu. L’AP programmée au sein de l’entreprise améliore les signes cliniques, l’invalidité et la qualité de vie des employés lombalgiques, et permet de réduire l’absentéisme. Pour les emplois de bureau, l’alternance du travail en position assise et debout réduit de 32 % les signes d’inconfort lombaire.
En complément d’interventions ergonomiques, des exercices simples de renforcement musculaire sont efficaces pour la prévention des lombalgies, des cervicalgies, et des douleurs musculaires des membres supérieurs. L’association d’exercices aérobies et de renforcement musculaire, supervisés par des professionnels, ainsi que l’usage de bureaux à hauteur variable permettant le travail debout réduisent la prévalence des douleurs de l’épaule et des cervicalgies.
L’amélioration du poste de travail et le soutien psycho- logique sont classiquement recommandés pour prévenir la survenue de burn-out. Leur efficacité est améliorée par la pratique d’exercices d’endurance et de renforcement musculaire, à raison d’une heure 2 à 3 fois par semaine. Les effets positifs de l’AP sur le bien être psychique sont particulièrement nets chez les personnes exerçant un emploi sédentaire. C’est pourquoi des interventions en entreprise ont été proposées, afin de réduire les risques de burn-out et d’absentéisme, comportant le plus souvent une AP de loisir, le plus souvent sportive. Cette recommandation est soutenue par les résultats d’une enquête réalisée sur plus de 1 500 salariés montrant une corrélation entre le nombre d’heures de travail hebdomadaires et le risque de burn-out, mais uniquement chez ceux qui avaient très peu d’AP.
Des programmes d’AP de loisir d’intensité élevée permettent de réduire l’absentéisme, principalement par la prévention primaire et tertiaire de maladies chroniques, et l’amélioration de la santé mentale. À l’inverse, l’AP professionnelle associée à des exercices de force (port de charges, travaux de terrassement, etc.) augmente le nombre d’arrêts de travail de longue durée : les mouvements répétitifs associant des contractions musculaires statiques et des pics de force intenses font le lit des TMS.
Les conséquences économiques du présentéisme sont jusqu’à 7 fois plus importantes que celles de l’absentéisme. L’augmentation du temps passé en position assise est associée à une baisse d’efficacité au poste de travail, alors que l’usage de bureaux à hauteur variable améliore l’engagement personnel et les performances au travail. Chez des employés de bureau, il existe une relation inverse entre le niveau hebdomadaire d’AP et le présentéisme ; toute augmentation du niveau d’AP entraine une baisse du présentéisme. Dans ce contexte, les exercices aérobies et de renforcement musculaire sont recommandés. Pour les salariés de bureaux, le mouvement pendant la journée de travail est nécessaire pour améliorer la santé au travail
Il s’agit de modifier l’environnement de travail en incitant à l’usage des escaliers, organisant des espaces de travail, utilisant des bureaux permettant le travail debout.
L’usage de bureaux à hauteur variable donnant la possibilité d’alterner position assise et position debout réduit en moyenne de 84 à 116 minutes le temps quotidien passé assis. Les postes de travail debout réduisent l’incidence des lombalgies et des affections musculaires. Ce type de bureau permet de réduire le temps passé en position assise ; la position debout adoptée avec ces bureaux ne se traduit pas par une augmentation notable la dépense énergétique (2 à 2,5 MET). Elle permet par contre un travail musculaire statique, elle améliore la fonction endothéliale, réduit l’agrégation plaquettaire et améliore la santé vasculaire. De simples pauses en position debout, permettant de rompre les temps prolongés en position assise (5 minutes de marche toutes les 30—45 minutes) ont montré leur efficacité contre les effets de la sédentarité.
Les conséquences de ces nouveaux modes d’organisation des conditions de travail sur la productivité restent malgré tout débattues. On a cependant montré que la promotion du travail alterné en position debout chez les employés de bureau ne pénalise pas la productivité ou les performances cognitives. De même, les ruptures de temps de sédentarité ont des conséquences bénéfiques sur la productivité à long terme.
D’une manière générale, la pratique régulière de l’AP comporte certains freins dont le manque de temps et l’absence d’installations dédiées à proximité du domicile. C’est pourquoi le lieu de travail peut constituer un endroit privilégié pour l’organisation de programmes d’AP dont les formes peuvent varier :
Les règles de pratique doivent être adaptées afin de minimiser les risques d’accidents musculaires et articulaires. Les AP et sportives doivent être intégrées dans une stratégie générale incluant des séances d’information et de sensibilisation en groupe, des entretiens motivationnels, des informations nutritionnelles et de prévention d’autres facteurs de risque (tabac, alcool, etc.). Le Médico-Sport-Santé publié par le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) propose un catalogue de sports adaptés à des per- sonnes auparavant inactives et qui souhaitent s’engager dans une activité sportive.
L’utilisation régulière de bureaux à hauteur variable a un excellent rapport coût/efficacité, permettant d’éviter 230 évènements cardiovasculaires et 50 décès d’origine cardiovasculaire pour 10 000 employés, et ce pour un investissement modéré.
Les risques traumatiques liés à l’AP régulière doivent être pris en considération. Des blessures musculosquelettiques peuvent résulter d’un surmenage de l’appareil locomoteur, ou d’un traumatisme aigu, par exemple lors d’une chute. En moyenne, 9 % des sujets de 30 à 49 ans ayant une AP régulière déclarent un accident au cours des 12 derniers mois ; cette incidence n’est plus que de 5 % chez les sujets de plus de 50 ans. Les hommes se blessent en moyenne 2 fois plus que les femmes. Ces blessures occasionnent un arrêt de travail dans 23 % des cas. Les sports collectifs et de contact sont, avec ceux de combat, à l’origine du plus grand nombre d’accidents. Des mesures de prévention sont toujours nécessaires, à type d’échauffement préalable, de progressivité de pratique, et de temps de récupération.
Actuellement, les accidents liés à la pratique sportive sont considérés comme relevant de la vie privée. Les inclure dans le champ des accidents du travail serait facilitateur d’un développement des programmes d’AP en entreprise.
Si l’activité proposée est accessible et attrayante pour que les employés y adhérent de façon durable, le retour sur investissement est largement positif pour les employeurs, se traduisant par une réduction de l’absentéisme et des bénéfices sanitaires.
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Pour les emplois à forte sédentarité, sans AP associée (emplois de bureau ou de services à forte sédentarité, exercés par des cadres et professions intellectuelles supérieures, etc.), il convient de combiner :
Pour les emplois à faible niveau de sédentarité (emplois à position debout prolongée, professions de santé, etc.), il convient de combiner :
Pour des emplois à dépense énergétique importante et fortes contraintes musculaires, à faible niveau de sédentarité (ouvriers du bâtiment, de l’industrie, métallurgistes, etc.), il convient de combiner :
Pour les employés exerçant en télétravail (à risque d’augmentation de la sédentarité), on recommandera :
Ces programmes sont à intégrer dans une approche multi- dimensionnelle de réduction des risques pour la santé, la promotion de l’AP et la réduction de la sédentarité allant de pair avec l’amélioration des habitudes alimentaires, la réduction d’autres comportements à risque (tabac, alcool, etc.), la gestion du stress psychologique, les interventions ergonomiques nécessaires, etc.
Les employeurs savent que l’entreprise joue un rôle important pour la santé des salariés. Ils peuvent être sensibilisés à la promotion de l’AP au sein de l’entreprise en leur rappelant les effets attendus sur la réduction de l’absentéisme et le présentéisme.
Les employés eux-mêmes doivent être régulièrement informés des bienfaits de l’AP dans le cadre du travail. Près de 2 français sur 3 considèrent déjà que pratiquer une AP permet de réduire les effets pathologiques du stress, les troubles du sommeil et les TMS ; ils souhaitent à 58 % que ces activités soient encadrées par des personnes compétentes.
Les médecins du travail doivent être formés dans ce domaine, non seulement lors de leur formation académique initiale, mais aussi par les programmes de développement professionnel continu.
Les infirmiers de santé au travail assurent des missions de prévention sous l’autorité du médecin du travail de l’entreprise et participent aux actions d’éducation. Ils sont des acteurs incontournables de la sensibilisation des dirigeants et salariés aux bénéfices de la réduction de la sédentarité et de l’augmentation de l’AP sur les lieux de travail. Ces infirmiers doivent suivre une formation en santé au travail au plus tard dans l’année qui suit leur recrutement, comportant une sensibilisation à l’AP et à la réduction de la sédentarité.
Pr. Martine Duclos, service de médecine du sport, CHU Mont- pied Clermont-Ferrand.
Julien Finaud, Association sportive montferrandaise « vitalité ».
Pascal Thibault, Association sportive montferrandaise « omnisport ».
Philippe Lamblin, Chef d’entreprise, Président du réseau BGE (Boutiques de Gestion pour Entreprendre).
Alain Calmat, ancien président de la commission médicale du CNOSF (comité olympique et sportif français).
Source : l’Académie Nationale de Médecine, Rapport 22-05. Activités physiques et sportives au travail, une opportunité pour améliorer l’état de santé des employés – Physical activity and sport at work, an opportunity to improve the health of employees, X. Bigard , au nom d’un groupe de travail « activités physiques en prévention primaire et secondaire »